ALERTE SUR LA LECTURE – COMPORTEMENT ET ÉVOLUTION DE LA LECTURE CHEZ LES FRANÇAIS
Hier,
Livres Hebdo présentait son enquête
Alerte sur la lecture réalisée par Ipsos.
Claude Poissenot, sociologue,
Pascal Thuot de la librairie Millepages et
Érik Orsenna, romancier académicien, livraient leurs commentaires.
Globalement, la lecture aurait connu une perte de vitesse en 2014, comparativement à trois années auparavant. Si en 2011 les sondés du panel Ipsos, âgés d'au moins 15 ans, étaient 74 % à déclarer avoir lu un livre au cours des 12 derniers mois écoulés, ils ne sont plus que 69 % aujourd'hui. Un quart des répondants estime lire moins que par le passé. Et les chiffres présentés à l'appui semblent le confirmer, en évoquant une moyenne annuelle de 16 livres lus par lecteur en 2011 tandis que l'appétit des lecteurs serait désormais passé à 15 bouquins, soit un de moins.
La cause de cette baisse de régime est imputée au manque de temps par une grande majorité de sondés, à hauteur de 63 %, mais aussi à la concurrence des autres loisirs pour 45 % quand un prix du livre est jugé trop onéreux par 9 % d'entre eux. La communauté des lecteurs serait vieillissante, tandis que l'âge moyen des lecteurs interrogés est passé de 32 ans à 40 ans, en 2014 comparativement à 2011, mais se retrouve également de plus en plus issue des classes socio-professionnelles élevées.
Note positive, quelque 38 % d'interrogés affirment toutefois que la lecture reste leur activité préférée. Ils sont 85 % de lecteur à louer leur passion, car elle leur permet de s'évader, quand ils sont 70 % à faire état de leur plaisir à causer de livre avec leur entourage. Les Français n'auraient pas totalement perdu le goût de la lecture, notamment en vacances, ou dans les transports. Le livre de poche avec ses tarifs abordables aurait quant à lui réussi à conquérir la moitié des Français, de même que 2 tiers des lecteurs.
Une adoption du numérique complémentaire au papier
La question des sphères d'influences que se partagent les formats, papier et numérique, était également au coeur des préoccupations. Le panel est désormais équipé en smartphone pour 56 %, de tablette pour 37 %, de readers pour 12 %, quand l'ordinateur reste en tête pour 80 %. Autant d'appareils qui se prêtent à la lecture numérique, mais dont on ne fait pas forcément le même usage. Ainsi la tablette arriverait en tête des dispositifs mis à profit pour lire des ebooks, devant l'ordinateur, puis le smartphone et enfin le reader. Selon 26 % du panel, les plus optimistes, l'ebook pourrait même nous faire lire davantage.
Ils seraient 7 Français sur 10 a avoir lu au moins un livre sur les douze mois observés. 69 % des lecteurs auront consommé du papier contre 11 % a avoir lu sur écrans. Parmi ceux ayant adopté l'ebook, ils seraient néanmoins 9 sur 10 à lire des titres imprimés, et auraient tendance à faire partie de la famille des grands lecteurs. Si la lecture numérique se développe, on n'observerait donc nullement de phénomène de cannibalisation de l'objet livre. 84 % des sondés estime d'ailleurs que celui-ci restera le principal support de lecture à l'avenir, et 78 % à les conserver avec soin.
Cette catégorie des grands lecteurs compterait pour un quart des sondés qui lisent des livres. Le portrait-robot qui en est dressé est celui d'une femme, catégorie des grandes lectrices donc, à 61 %, diplômée de l'université, sans enfants, de catégorie socio-professionnelle supérieure, et le plus souvent résidente d'Ile-de-France. Mais sur le terrain de l'adoption de la lecture numérique, la proportion des sexes serait inversée, là les chiffres dépeignent un homme, et plutôt actif. Un format dématérialisé qui serait notamment jugé propice à la lecture partielle d'un ouvrage et fort de promesses de stockage et de portabilité.
Le marché du numérique resterait porté par son offre gratuite, à hauteur de 72 % contre 32 % de contenu payant. Si l'intérêt pour le livre dématérialisé reste très limité dans l'Hexagone, sa part de marché continuerait toutefois à progresser.
Prescription et parts de marché, la librairie bat de l'aile
Au moment de faire son choix dans les rayons, le consommateur se laisserait influencer en premier lieu par les thèmes des ouvrages, pour 54 %, en fonction des conseils de proches pour 43 %, du nom de l'auteur pour 27 %, des suggestions TV ou radio pour 24 %, ou encore la presse pour 17 %. Un état des lieux de la prescription qui fait de l'ombre à la librairie, et témoignerait selon le sociologue Claude Poissenot d'une «
logique d'individualisation ».
Au moment de faire ses achats, le lecteur opterait prioritairement pour le livre neuf, pour 3 quarts des sondés, le prêt entre proches ou le cadeau pour 49 %, puis viennent les achats d'occasions et autres emprunts dans le fond des bibliothèques pour respectivement 20 et 15 % du panel. Sur le marché de l'imprimé, la grande distribution est en tête des lieux d'achats, 38 % des sondés déboursent leurs deniers en grandes surfaces et 26 % dans les hyper, les libraires restent privilégiés par 23 % d'entre eux, quand les challengers e-commerçants en auront séduit 16 %.
«
Le papier reste le socle de notre économie », soutient le libraire intervenant, Pascal Thuot. S'il constate la perte du pouvoir prescriptif des libraires, le directeur général de Millepages se demande si la profession manquerait de fiabilité et si elle ne souffrirait pas d'un manque de culture générale, une remise en question adressée également à la critique littéraire. Au rang des possibles défauts du métier, il pointe un possible manque de pertinence dans l'accueil du client.
Comme l'exprime Pascal Thuot, pour «
se remettre dans le sens de la marche », les libraires devraient revenir à des bases, des fondements, s'assurer que la formation des professionnels soit conforme aux attentes de la communauté des lecteurs, éventuellement mettre à profit des politiques innovantes et des discours plus séduisants. En somme, il en appelle à «
se donner la capacité de se renouveler ». Une question qui selon lui devrait s'inviter au coeur du débat des prochaines élections. Comme l'a souligné une personne du public, il ne faudrait toutefois pas négliger la part implicite de prescription du libraire, qui peut passer par l'agencement de son magasin ou autres manières indirectes de suggérer la lecture.
Ce à quoi Érik Orsenna ajoute que «
comme dans la musique, il va falloir rendre son aspect vivant à la librairie, en faire un lieu de l'offre et de vie » avant tout. Les préoccupations de l'écrivain vont davantage vers les 1 Français sur 5 qui ne savent pas lire en classe de 6ème. « Quand on ne sait pas lire, on est en dehors de la société. » Il évoque le peu d'effet de la grande cause nationale 2013, celle de l'alphabétisation en ajoutant : «
Cette année ce n'est plus une cause nationale, peut-être que l'on va pouvoir avancer ». Et regrette en outre que «
jamais on n'a eu autant d'information et pourtant très peu d'explications. Pourtant, le besoin de compréhension est immense ».
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Etude complète, réservée aux abonnés Livres Hebdo.