de Edouard Louis
aux éditions Seuil, 17 €
"Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d'entendre ma mère dire Qu'est-ce qui fait le débile là ?Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J'étais déjà loin, je n'appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs et j'ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins de terre, l'odeur de colza, très forte à ce moment de l'année. Toute la nuit fut consacrée à l'élaboration de ma nouvelle vie loin d'ici." En vérité, l'insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n'a été que seconde. Car avant de m'insurger contre le monde de mon enfance, c'est le monde de mon enfance qui s'est insurgé contre moi. Très vite j'ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût. Je n'ai pas eu d'autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre. Édouard Louis a 21 ans. Il a déjà publié Pierre Bourdieu: l'insoumission en héritage (PUF, 2013). En finir avec Eddy Bellegueule est son premier roman. «En vérité, l’insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n’a été que seconde. Car avant de m’insurger contre le monde de mon enfance, c’est le monde de mon enfance qui s’est insurgé contre moi. » Et voilà : tout est dit ou presque. En publiant le premier roman autobiographique d’un très jeune auteur, Edouard Louis, 21 ans, qui a déjà derrière lui un essai sur le sociologue Pierre Bourdieu*, les Editions du Seuil ont déniché LA révélation de cette rentrée. Car, derrière la blondeur et les yeux bleus de cet étudiant à l’Ecole normale supérieure se cachent une force de récit, une puissance de tir comme on en croise rarement. Son livre raconte la souffrance d’être né différent dans un monde cimenté par les codes et l’aigreur. Dans la famille Bellegueule, qui vit dans le nord de la France, le petit Eddy fait tache. Sa façon de marcher, sa gestuelle ne cadrent pas avec la virilité requise lorsqu’on est un garçon. Où qu’il se trouve, chez lui, au collège, dans la rue, Eddy est arrosé de crachats au sens propre comme au sens figuré. Des insultes dont on l’assaille — « pédale, pédé, tantouse, enculé, tarlouze… » — il pourrait faire un catalogue. Là-dessus, les coups, orages brefs et répétés. Mais Edouard Louis ne se contente pas d’égrener, au fil de l’enfance puis de l’adolescence, les stations d’un calvaire : particulièrement la sodomie, subie à 10 ans, victime d’un cousin. Il construit l’implacable portrait d’un univers sans culture aux rêves effondrés, corseté dans la vie rude, l’horizon bouché par l’usine, l’alcool et l’humiliation d’un mari lorsque son épouse cherche à gagner un peu d’argent. Du langage, livré brut de décoffrage, surgit parfois comme un écho enfoui, une envie de tendresse. Mais elle est vite étouffée. Cela aussi est bouleversant. Quelle claque!